L’Observatoire des religions

2- Comment l’Islam est né ?

mardi 5 juin 2007

Part II : La prise du pouvoir et la naissance de l’Etat arabe

Nevo Yehuda D. and Judith Koren, Crossroads to Islam, The origins of the Arab Religion and the Arab State,(2003) Promotheus Books, New York.

Notes de lecture (les chiffres entre parenthèse renvoient à la page du livre dont la note est tirée.)

Les arabes assument le pouvoir, c’est le résultat du vide politique et militaire créé par le retrait de Byzance, culminant avec l’émergence de Mu’awiyah comme chef de gouvernement et l’établissement d’un Etat arabe.

Situation en 630 : au cœur, se trouve une population chrétienne parlant araméen et grec. Majorité monophysite, bien que des enclaves chalcédoniennes existent, notamment à Césarée et Jérusalem. Dans les régions frontières avec le désert, deux populations séparées coexistent. Dans les villes et villages vivent des chrétiens dont la grande majorité sont ethniquement arabes, bien qu’assimilés à la culture de Byzance. Ils ont été établis par Byzance dans la Provincia Arabia depuis le 4ème siècle. L’élite est sans doute elle aussi arabe. Distincte est la population nomade ou semi nomade, jusqu’à maintenant fédérés recevant des subsides de Byzance, organisés en unités quasi militaires sous des phylarques nommés par Byzance et sont accoutumés à tenir les rôles d’une armée régulière qui leur a été transféré depuis deux siècles quand l’armée régulière s’est retirée : police contre les raiders du désert et ramassage des taxes de l’annone militaire

Au tournant du 7e siècle, le groupe le plus large des fédérés, les Gassanids, a été démantelé. Des subsides aux autres fédérés sont interrompues. Ils ramassent, dès lors, les taxes pour eux-mêmes (90)

Bataille de Datin et d’al-Arabah : pour nous, Byzance fait exprès de ne pas envoyer de l’aide. C’est une démonstration non de la prouesse des arabes, mais de la politique de Byzance à leur égard. Byzance veut montrer qu’elle n’a pas l’intention de garder le contrôle

Ce n’est pas une offensive bien organisée de puis le quartier général de Médine, ou d’ailleurs (102)

Très peu de répercussions dans la littérature chrétienne (106)

Aucune description d’événements spécifiques de la conquête peut être trouvée dans la littérature non musulmane jusqu à beaucoup plus tard quand des auteurs syriens et grecs commencent à emprunter à l’historiographie musulmane. Seul Sébéos à la fin du 7e siècle donne sa version mais nous n’avons même pas le peu que nous trouvons dans Sébéos dans la littérature syrienne et grecque du 7e siècle. C’est le beaucoup moins dramatique fait du gouvernement arabe que les contemporains mobilisent pour apprendre la leçon de la colère ou de la grâce divine.

Cette situation devrait au moins suggérer la possibilité que le fait du gouvernement arabe était l’événement le plus dramatique disponible : il n’y avait rien de plus dramatique ou catastrophique à ce mettre sous la dent. Pas de grande bataille ni de grande défaite.

L’œuvre la plus proche d’une description spécifique est celle de l’év^que arménien Sébéos à la fin du 7e siècle, qui relate deux batailles supposées par les historiens modernes comme étant celles de Yarmouk et Qadisiyyah (109)

Les ismaélites sont vus comme des agents de la punition de Dieu, mais comment ils font, nous ne pouvons le dire. Des invasions et des batailles que Byzance perd il n’y a aucun signe. (109)

Dans la Doctrina Jacobi, texte chrétien qui parle de faits de 634 et qui a été établi peu après, il est question d’ « un faux prophète venant avec les Sarrasins »

Noël 634 : Sophronius, le patriarche de Jérusalem, est beaucoup plus troublé : les chrétiens ne peuvent aller à Bethléem. En fait les arabes n’on jamais occupé ni assiégé Bethléem, mais empêchent les chrétiens d’y accéder (119)

L’histoire d’Héraclius de Sébéos se termine avec la montée de Mu’awiyah au califat en 662 (125).

En fait il a peu de connaissance des événements. Le plan général est biblique : la reconquête de Jérusalem par les nouveaux enfants d’Abraham (127)

Résumons : les sources locales écrites jusqu’au début du 8e siècle ne fournissent aucune preuve d’une invasion planifiée des arabes depuis la péninsule, et de grandes et dramatiques batailles qui déciment l’armée de Byzance et vainquent l’empire. Nulle part nous ne trouvons mention de l’islam.

L’événement le plus ancien relaté est la guerre entre Mu’awiyah et Ali en 657. Aucun nom de calife avant Mu’awiyah n’est mentionné (135)

La preuve apportée par la monnaie

Les premières monnaies émises dans al Sam après la prise arabe sont des imitations des monnaies de Byzance, et pour cette raison connues comme arabo-byzantines. Toutes des monnaies de cuivre. Au contraire des émissions plus tardives, elles ne comportent aucun texte religieux mahométan, nous les appellerons monnaies arabo byzantines pré mahométanes. Aucune date ou aucun nom de prince et il est donc très difficile d’établir leur chronologie.

Les villes continuent à se gouverner elles- mêmes comme avant. Néanmoins, après un court temps, les monnaies commencent à être surchargées de caractères arabes qui confirment leur cours légal. Pour le comprendre rappelons que tout nouveau prince, byzantin ou arabe, frappe ses propres monnaies, mais cela ne signifie pas qu’il rappelle les autres, ou qu’elles cessent d’être reconnues valides. Il pouvait simplement confirmer leur validité et elles continuaient à circuler (150).

Donc beaucoup de monnaies différentes en circulation. Les gens sont habitués à utiliser différentes monnaies de différents types et poids

Les arabes font le moins possible de changement dans l’administration

Sur frapper une monnaie est une déclaration publique que l’autorisation du gouvernement arabe est maintenant requise pour les monnaies émises par les villes. Indique un stade ultérieur dans la consolidation du contrôle arabe. De plus dans al Sam, cela indique que l’arabe est une langue officielle.

D’après les monnaies, Mu’awiyah contrôle seulement les villes du nord, de Baysan à Hims, pas ceux de la Palestine centrale. En fait, seulement sous Abd al-Malik des monnaies sont émises dans chaque des cinq provinces du nord : al Jazireah (Mésopotamie du nord), Arménie (région du Caucase), Mosul, Arran, et Adarbayjan. Pas avant le tournant du 8e siècle, des monnaies sont frappées dans les autres villes de Palestine, telles Gaza, Askélon et Lydda. Si tout al Sam est soumis au contrôle arabe depuis la bataille de Yarmouk, en 636, alors cela demande explication, car nous nous attendrions à ce que les villes les plus importantes de Palestine au moins, notamment Jérusalem, à avoir des monnaies émises à cette période, étant donné que beaucoup de villes beaucoup moins importantes l’ont fait. La distribution dans le temps des monnaies suggère plutôt que l’hypothèse d’un contrôle graduel et que Mu’awiyah contrôlait seulement les villes du nord de Baysan à Hims (154).

L’épigraphie des monnaies donc ne fournit aucune preuve pour corroborer la version traditionnelle de l’histoire, c’est-à-dire que Othman conquiert le royaume sassanide. Ni lui ni aucun des commandants et gouverneurs précédents ne sont mentionnés. Ce silence est beaucoup plus compatible avec notre suggestion que jusqu’à Mu’awiyah il n’y a personne à mentionner. Jusqu’en 661, les Arabes opèrent en tant que fédérés. Après la bataille de Siffin, Mu’awiyah est reconnu comme gouverneur unifié de toute la zone et son nom apparaît alors sur les monnaies. En fait Mu’awiyah, dont le nom est connu des monnaies, avec des inscriptions une en arabe et une en grec et de sources écrites : Sébéos, Maxime le Confesseur, John de Phenek, est le premier dirigeant arabe à être attesté pleinement (154).

La fondation de l’Etat arabe

Le retrait militaire d’al-Sam et plus tard le retrait de facto de l’administration civile de Byzance sont tous deux achevés à la fin du 6e siècle. Il s’ensuit une période de luttes de pouvoir dans un vide politique = Phase 1. Elle commence dans les années suivant l’occupation perse de al Sam quand les villes de Syrie et de Palestine du nord annoncent publiquement le manque de contrôle en émettant leur propre monnaie. Ces déclarations numismatiques commencent à Gerasa et Baysan en 630 et graduellement gagnent Hims et Tartus, pas loin de la frontière décidée par Byzance comme sa frontière, qui court d’est en ouest à Antioche. En même temps, les anciens fédérés arabes de l’empire annoncent qu’ils sont maintenant en contrôle ; ils continuent à demander des tributs aux villes et villages, mais en leur propre nom plutôt qu’en celui de leur ancien maître. Il s’ensuit une guerre entre les chefs de tribus (155).

Mu’awiyah passe la première des deux décennies 641-660 à amasser des supports et à prendre le contrôle des aires sassanides depuis sa base de Damas. Cette période d’élargissement graduel et de consolidation de son contrôle = Phase 2. Se conclut par la défaite des principaux rivaux de Mu’awiyah à la bataille de Siffin en 657 et de la reconnaissance de lui comme calife pour toute la région = phase 3 : l’établissement par un leader du contrôle sur al Sam et une conquête arabe de l’Egypte et de l’Irak

Pouvoir de Mu’awiyah basé sur des liens personnel avec des chefs de tribus (156)

Le résultat préserve l’organisation tribale de la société et laisse la responsabilité du contrôle tribal entre les mains des chefs de tribu

Mu’awiyah fonde son pouvoir sur les tribus du désert et sur sa propre famille ou les alliés de sa famille. Ressemble plus à un seigneur féodal qu’à un dirigeant moderne. (157)

Les aires qui l’intéressent sont plus au nord et à l’est de Damas qu’au sud. La Tradition est pleine de contradictions. En fait, le centre de la Palestine où il y a peu d’arabes montre peu de signes d’être sous le contrôle de Mu’awiyah, certainement pas avant la bataille de Siffin en 657. Nous n’avons aucune confirmation externe à la Tradition du contrôle de la Palestine centrale (158).

Même au milieu du 7e siècle, quelque 20 ans après le départ de la prise de pouvoir, la souveraineté arabe et le détachement de l’empire sont encore incomplets. Les monnaies en font foi (159)

Pendant cette période de 640 à 695 (Abd al-Malik ), les habitants chrétiens

d’al-Sam soit se réjouissent soit espèrent secrètement le retour de Byzance. La décision politique est en même temps religieuse (159)

685 : Abd al-Malik prend le contrôle [1] ; beaucoup de divisions dans le camp chrétien (161).

En 696-699 Abd al-Malik réforme les monnaies arabe, abolissant toutes traces byzantines = déclaration d’indépendance, jamais proclamée avant.

En dépit de la thèse de Pirenne [2], Byzance continue à commercer avec les Arabes après la prise de pouvoir, étant à la fois un grand consommateur de produits de luxe et le principal canal de commerce entre les arabes et l’Ouest (163).

Chypre qui subit un raid en 648 et 654 reste un important havre de transit. De même les raids en Mer Egée et en Sicile en 652 et 669

Et puisque les dirigeants arabes continuent les arrangements administratifs byzantins, le contrôle de beaucoup de flux commerciaux reste entre les mains des chrétiens

A partir de 680, Byzance inaugure une nouvelle politique : couper les villes non contrôlées par Byzance et router le plus de commerce possible vers les ports byzantins où il est beaucoup taxé. Byzance elle-même devient le principal centre de transit

Cette politique peut s’expliquer purement en termes économiques :

Minimiser les interventions pour venir au secours de chrétiens en danger.

Du pouvoir économique de Byzance et de son haut niveau de commerce avec l’Etat arabe commerce vital pour les deux côtés pouvait résulter une forte influence culturelle de Byzance sur le nouvel Etat arabe. Et de fait, il y a une influence de Byzance sur les Omeyades [3] :

la bureaucratie continue à être dirigée par les mêmes officiers, jusqu’‘à la réforme d’Abd al-Malik, qui émet une monnaie à la byzantine (165)

Le dôme du Rocher est de caractère byzantin (166)

Al-Walid reçoit l’aide de l’empereur grec pour la décoration de la mosquée du Prophète à Médine et de la Grande Mosquée de Damas, selon la Tradition.

En fait cela n’a rien de surprenant : le nouvel Etat arabe est un Etat client : paiement d’un tribut à Byzance = reconnaissance théorique de la souveraineté de Byzance sur la Syrie et l’Egypte

Même après Abd al-Malik , continue à être un Etat client (167)

Les chrétiens continuent leur pèlerinage en Terre sainte et à Jérusalem.

[1] Parmi les réformes d’`Abd al-Malik, il y a l’arabisation du gouvernement dans tout l’empire et l’organisation d’un système postal

[2] Dans Mahomet et Charlemagne, le grand historien belge Henri Pirenne avance la thèse que l’islam a coupé la Méditerranée en deux du point de vue économique comme religieux. Charlemagne est une sorte de réaction à Mahomet.

[3] Les Omeyyades étaient liés avec le troisième calife, Othman. Quand celui-ci fut assassiné par des opposants qui portèrent au pouvoir Ali, cousin et gendre de Muhammad, tous ceux qui étaient liés à Othman crièrent vengeance, notamment l’Omeyyade Muawiya, qui était alors gouverneur de Syrie.

À la suite de quelques combats, Ali fut écarté du pouvoir en Syrie par un arbitrage, et Muawiya fut proclamé calife par les Syriens (661). Ali ayant été assassiné par les Kharidjites, ses anciens partisans, plus rien ne s’opposa ensuite au règne des califes omeyyades. Cependant, à partir des années 680, une série de troubles internes faillirent mettre fin à cette dynastie, mais elle réussit toujours à reprendre le dessus :
- En 680, à la mort de Muawiya, les notables de la ville chiite de Kufa, en Mésopotamie, voulurent mettre sur le trône Husayn, second fils d’Ali. Ils furent écrasés à Karbala par une armée omeyyade.
- En 683, un notable qurayshite, `Abd Allāh b. al-Zubayr, souleva en Arabie les deux villes saintes de La Mecque et Médine, et étendit son pouvoir jusqu’à Basra (Bassora), en Irak. En même temps éclatait à Kufa une révolte organisée par Mukhtar au nom d’un des fils d’Ali.
- De plus, divers groupes kharidjites suscitaient des désordres en Arabie méridionale, en Iran central et en Haute-Mésopotamie. Heureusement pour les Omeyyades, les divers groupes insurgés n’avaient aucune union entre eux. Les Kharidjites ne s’étendirent pas hors des déserts ; ’Abd Allāh fut vaincu par le calife (Abd al-Malik), tandis que Mukhtar était écrasé par le frère d’Abd Allāh, qui gouvernait Basra.

Les adversaires du régime l’accusaient d’impiété pour diverses raisons : il avait usurpé la place et versé le sang de la famille du Prophète ; il aurait été trop indifférent à l’Islam et à ses règles, notamment en négligeant de convertir les populations conquises.

Il est vrai que les Omeyyades ont longtemps préféré faire payer aux non-musulmans des impôts (capitation et impôt foncier) plutôt que de les convertir. Cependant les successeurs d’Abd al-Malik choisirent une solution plus souple : on encouragea les conversions, et pour les convertis la capitation fut remplacée par l’aumône légale du croyant ; mais l’impôt foncier fut maintenu sur leurs terres (sous prétexte que celles-ci n’étaient pas converties).

Les Omeyyades furent ensuite détrônés en 750 par les Abbassides, qui fondèrent leur propre dynastie. Presque tous les membres de la famille furent massacrés, mais le prince ’Abd al-Rahmān Ier, réussit à s’enfuir, à gagner l’Espagne et à y établir une nouvelle dynastie à Cordoue. L’émir ’Abd al-Rahmān III prit le titre de Calife en 929, affirmant ainsi la complète indépendance du califat de Cordoue.


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